Réflexion

12 mars 2018

Traverser le Canada à vélo ... juste pour le fun

Dans 50 jours, le 1er mai, je me lancerai dans un projet auquel je rêve depuis que je suis tout petit. Traverser le Canada, d’Est en Ouest, de la Gaspésie jusqu’à Yellowknife aux Territoires du Nord-Ouest.

Pourquoi d’Est en Ouest, et pourquoi de la Gaspésie jusqu’aux TNO?

Même si les vents dominants soufflent de l’Ouest vers l’Est, je ne me suis jamais imaginé faire la traversée autrement que dans le sens inverse, de l’Est vers l’Ouest. Bien que ce soit un voyage d’agrément avant tout, il a aussi un côté utilitaire. C’est d’ailleurs ce côté “utilitaire” qui fut l’étincelle en août 2017. Récemment séparé de la mère de mes enfants, notre situation, si elle était particulière avant (choisir la liberté d’agir devant l’argent, vivre dans une yourte, faire l’éducation à domicile, etc.) est maintenant carrément pittoresque ! C’est que nous vivons de chaque côté du continent américain. Plus de 5 000 km nous séparent, et partager équitablement la garde des enfants est devenu notre casse-tête annuel.

J’ai donc proposé en août 2017 de traverser le Canada à vélo pour “aller chercher” les enfants. J’allais faire la traverser jusque dans l’Ouest à vélo pour revenir en famille dans une minivan achetée là-bas. Le point de rendez-vous allait être Yellowknife où notre garçon est né. Puis, à un moment donné, le plan est devenu incertain. La “raison d’être” (aller chercher les enfants) allait peut-être ne plus être ...
Est-ce que j’allais avoir la force nécessaire pour traverser les 6 425 km sans l’image de mes enfants qui m’attendent à l’autre bout ?

Devenir un parent, ça change le monde. Lorsque ça m’est arrivé, par hasard à la fin des années 2000, j’avais 40 ans. J’étais bien content que ça ne me soit pas arrivé à 20 ans. Je ne crois pas que j’aurais eu la maturité de vivre cette aventure d’aussi belle façon que je le fais aujourd’hui. Une chose que je m’étais promise, c’est que jamais je n’utiliserais mes enfants comme excuse pour ne pas faire quelque chose. Pas de “je ne peux pas ce soir, parce que les enfants ...”. Les enfants m’ont toujours suivi où que j’aille, peu importe l’heure, si on jugeait que ça n’entrait pas en conflit avec leur bien être. Je ne me suis jamais empêché de faire quoi que ce soit à cause des enfants.

Si mon fils n’allait pas m’attendre à Yellowknife, j’allais faire ce voyage quand même, avec une autre raison d’être. Et ce ne fut pas trop difficile, puisque c’était un rêve d’enfance. Mon fils n’avait fait que provoquer sa réalisation.

Au delà de toutes ces réflexions plus ou moins profondes, le but ultime de ce voyage reste d’avoir du fun. Et déjà, au stade de la planification qui s’est enclenchée plus sérieusement il y a une cinquantaine de jour, le plaisir occupe beaucoup de place. J’ai énormément de plaisir à prévoir l’itinéraire, imaginer les meilleurs chemins, chercher des endroits où dormir et où animer des discussions. 

À cinquante jours du départ d’un voyage de 100 jours, je me sens prêt. Physiquement, le gros de “l’entrainement” se fera un tout petit peu avant mais surtout pendant. Techniquement, j’ai déjà rassembler la majorité de ce dont j’aurai besoin et j’ai créé un blog et une page Facebook qui me permettent de garder une trace et par lesquels les gens peuvent me rejoindre. Je vous y invite d’ailleurs, en attendant mon prochain “post” !

Martin 

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18 mars 2018


Un gros voyage qui vient avec de gros doute

 

Si je ne doute pas que je ferai tout ce qui est possible pour arriver à Yellowknife le 13 août prochain en vélo, je ne peux pas dire que le doute ne fasse pas partie de mon imaginaire quotidien. Bon, dans la vie, je doute beaucoup … de tout … pas mal tout le temps.

Ou peut-être que je suis rempli de questions, simplement.

Mais arrêtons de nous préoccuper de peut-être s'enfarger dans les fleurs du tapis.

Un voyage de 6 000 km pour un gars de 50 ans, loin d'être un athlète, c'est clair qu'il y a de la place pour le doute dans ça. Je suis capable, dans la même phrase, de vous dire que je ne doute pas d'arriver à destination et vous dire que je ne sais pas si j'en serai capable. Peut-être que je me ferai voler mon vélo, peut-être que je me bousillerai les genoux, que je n'aurai pas le cardio qu'il faut pour ce type de voyage, que je manquerai d'argent que, que, que...

Ce n'est pas mon premier voyage de la sorte. En 2003 j'ai pagayé de Yellowknife à l'Océan Arctique pendant 50 jours. Je ne peux pas dire que je ne doutais pas de ma capacité à réussir un tel voyage. Quelques années plus tard, je partais 33 jours tout seul en canot, toujours dans le Nord. Même mes amis m'ont aidé à douter de celui-là!

Au fil des voyages de quelques jours à quelques mois, une constance m'est apparue. Pendant les cinq premiers jours, je me demandais sérieusement ce que je faisais dans cette situation. Je me levais le matin, en plein milieu du paradis terrestre (avec quelques maringouins en prime) en me demandant qu'est-ce qui avait bien pu me prendre pour croire que c'était une bonne idée de partir trois semaines en canot avec mes quatre chiens de traîneau (je vous l'accorde, la question se pose … y'a une raison pourquoi on appelle ça des chiens de « traîneau »). Mais chaque fois, comme par magie, le matin du sixième jour, « Pouf! », tous les doutes s'étaient évaporés. Tout à coup, je faisais partie du paysage. Je n'avais ni plus, ni moins d'importance que le brin d'herbe, que la roche ou le boulot qui m'entouraient.
 
J'étais.

Je me suis souvent demandé; « Pourquoi après cinq jours? » Pourquoi pas après 7 ou 12? C'était immanquablement après cinq jours complets. Ma théorie (douteuse … mais on reste dans le thème), c'est que mon corps était formaté pour la semaine de travail de cinq jours. Mon rythme hebdo-cardiaque était celui de mon emploi. Mais une fois l'équivalent de cette semaine-de-travail passé, je me sentais à ma place. Mon rythme devenait celui du vent, du jour et du soir (qui lui-même est arythmique avec les nuits ensoleillées du Grand Nord).

Présentement je doute, pour me préparer. Je m'imagine les pires scénarios pour qu'une multitude de solutions aux problèmes potentiels laissent une marque dans mon inconscient. En me demandant si je rencontrerai un ours sur mon parcours, ça me fait penser d'apporter une bonbonne de poivre de cayenne et une corde pour suspendre mes sacs de nourriture haut dans les arbres.

J'oublierai certainement quelques gizmos, j'aurai des crevaisons qui me feront peut-être perdre de précieuses heures et qui m'empêcheront de me présenter à un rendez-vous pour animer une discussion dans une école, j'aurai des jours où le vent gagnera sur moi et ma tente pourrait prendre l'eau. Je doute de beaucoup de choses, mais il y a une chose dont je ne doute absolument pas, c'est que ce voyage sera extraordinaire. Il l'est déjà! Et il changera ma façon de voir le monde. Il changera mon rythme, il changera ma vie.

Peut-être qu'il m'aidera même à moins douter … mais j'en doute!

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26 mars 2018


  Un été sans gazer ... vraiment!?

 

À l’été 2003, alors que j’étais à Yellowknife aux Territoires-du-Nord-Ouest, j’ai goûté pour la première fois à la liberté totale … ou en tout cas à la liberté aussi totale qu’il me semble être possible d'atteindre de nos jours.

Cet été-là j’ai parcouru avec un ami 1200 km sans dépenser une goutte d’essence. 

Nous avons déplacé nos corps et un canot rempli à ras bord, par la force de nos deux bras et de nos deux jambes. C’était mon troisième été aux TNO. 

Le premier, j’avais été invité à animer un camp d’été en français à Hay River. Un peu à la blague, j’avais suggéré à mon employeur qui me proposait 500$ pour mes frais de déplacement, de faire le chemin à vélo. Sa réaction (ça l’avait beaucoup fait rire) m’avait convaincu tout de suite. 

Il faut dire que je ne connaissais rien aux TNO à ce moment. J’étais arrivé l’automne d’avant en avion et la seule information que j’avais eue au CAA de l’époque venait d’une employée qui s’excusait de ne pas avoir de carte plus précise … elle ne montrait qu’une seule route! (c’était avant Google maps). 

Après avoir posé quelques questions autour de moi à savoir si quelqu’un avait déjà fait la route à vélo (il n’y en avait effectivement qu’une seule – et c’est toujours le cas) la réaction des gens (la même que mon employeur de Hay River) a continué à me confirmer que j’étais sur la bonne voie (j’ai toujours aimé faire rire les gens). Toutefois, à la différence de mon employeur qui était de l’autre côté du Grand Lac des Esclaves, les gens autour de moi se sont donné le mot pour essayer de me faire peur. Ce n’était pas intentionnel, évidemment. Mais tout le monde y allait de son histoire d’ours, de loup, de bison ou d’orignal enragé mangeur de cycliste. Au point que lorsque je suis finalement parti, seul avec un vélo complètement surchargé, mon premier arrêt à la limite de ma vessie après presque trois heures de route, faillit être tragique. En posant le pied d’une jambe sans entraînement déjà beaucoup trop fatiguée, les 150 livres du vélo n’ont pas trouvé le support souhaité et je me suis soudainement retrouvé coincé sous la charge. Après trois heures passées à imaginer comment j’allais gérer à vélo l'attaque d’un carcajou, je me retrouvai piné au sol à essayer de gérer l’envie de pisser du siècle. Changement de perspective, changement de problème. 

Depuis, j’ai rencontré quelques orignaux les quatre pattes dans l’eau qui m’ont regardé passer en broutant comme une vache sur le bord de la 20. J’ai été accompagné pendant quelques minutes à vélo et quelques heures en canot par des loups solitaires, j’ai rencontré des grizzlys la tête dans une carcasse de caribou et des truites qu’on « appelait » en tapant dans l’eau. Tous les étés que j’ai passés aux TNO, je les ai passés à vélo ou en canot … sans gazer. Là-bas, il y avait de la place. Il rentre une fois et demie la population des TNO dans le stade olympique de Montréal, et les TNO occupent un huitième de la superficie du Canada. Je me suis gâté quand j’y étais. Pendant dix ans. 

Puis, comme beaucoup (trop!) de parents, quand mes enfants sont arrivés, j’ai remercié la vie de m’avoir permis de vivre ces moments inoubliables et je me suis dit que j’allais vivre d’autres aventures, différemment. Jamais je n’aurais pensé avoir la chance de revivre ce genre d’aventure. Et pourtant me voilà à 36 jours d’un autre été sans gazer … vraiment! 

P.S. Note aux amateurs gaspilleurs d’essence à gogo 

J’ai réfléchi longtemps avant d’écrire ce petit bout de texte. Mais je me trouverais malhonnête de ne pas le faire. Ce voyage, je le fais pour moi. Point! … en fait, point-virgule. Il y a quand même une bonne partie de moi qui le fait aussi pour montrer qu’avec un peu de patience on peut diminuer, si on veut, notre consommation d’essence. Je ne peux nier que pendant mon voyage je penserai aux gens du Camp de la rivière près de Murdochville et à bien d’autres qui veillent sur notre bien commun qu’est l’eau et pour qui j’ai un énorme respect. Pendant un moment, j’avais le goût de me faire faire un T-shirt avec deux « fuck you » dans le dos en forme des ailes d’un ange, comme un petit clin d’oeil à nos beaux moineaux qui trouvent toujours à dire : « On sait bein vous autres les écolos, vous en utilisez jamais de gaz … gang d’hypocrites ». J'aurai donc une pensé pour mes ami.es qui se tapent ces commentaires puérils et stériles de nos beaux gorlots pilleurs de gaz. Ces gens au pied pesant qui s'imaginent le pétrole comme une ressource inépuisable, qui profitent allègrement d'un niveau de vie que n'auront très certainement pas leurs propres enfants. Je n'ai de leçon à donner à personne. J'en utilise du gaz et je profite d'un niveau de vie beaucoup plus élevé que 80% des gens de la planète. Mais cet été j'ajouterai quelques kilomètres à l'aide d'une machine qui pourrait bientôt devenir obsolète : mes deux jambes! Et je penserai à toi mon ami qui ne réalise pas l'importance de ces personnes qui « manifestent » trop souvent à ton goût et qui tentent tant bien que mal de nous aider à réaliser l'urgence d'agir. L’urgence de prendre conscience de l’importance de cesser de gaspiller.
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4 avril 2018

J’aime vivre.

Bien vivre.

J’ai eu la chance, depuis mon premier emploi à l’adolescence, de toujours faire ce que je voulais. 
J’aime travailler dans un domaine où je me sens utile. J’aime avoir du temps pour mes ami.es, ma famille, mon entourage. 

Je n’ai jamais accepté le concept de faire quelque chose en échange de l’argent.

Comme vous, je vis dans une société dans laquelle ce concept n’est pratiquement jamais remis en question et est élevé au rang de religion. J’ai dû faire avec. 

Remettre en question notre rapport à l’argent est aujourd’hui considéré comme une hérésie. 

Je suis un hérétique.

Si vous me connaissez un peu, vous savez que Patrick Dubois et moi avons créé le Demi. Depuis sa création nous nous sommes amusés à faire ce que nous appelons du beau dommage. Nous avons eu la chance d’être invité à quelques reprises pour animer des discussions sur le Demi. Si le Demi a été créé dans le but de sensibiliser les gens à ce qu’est une monnaie locale, il a aussi (à notre plus grand bonheur) poser la question de notre rapport à l’argent. Il n’y a rien comme mettre les ciseaux dans un billet de banque pour tester l’amour que nous portons à l’argent. Voir des gens financièrement à l’aise trembler et suer en coupant un vingt dollars est une expérience que je recommande à tout le monde.

Après quelques années à jongler avec le concept moderne de la monnaie, j’en suis venu à développer quelques manies avec lesquelles je me retrouve souvent seul au milieu de la foule. Je vis volontairement avec un revenu modeste depuis quelques années. Par « revenu modeste », j’entends bien en dessous de ce qui est considéré comme le seuil de la pauvreté au Québec. En théorie, mes deux enfants et moi devrions vivre avec autour de 25 000$ par année pour être qualifiés de « pauvres » en règle. Je ne me souviens plus de la dernière fois que nous nous sommes approchés du 20 000$. 
Depuis des années nous oscillons entre 10 et 17 000$. Je ne nous considère pas comme pauvre. En fait, je ne me définit pas par le salaire que je fais ou l’argent que j’ai en banque, pas plus que je me défini par un quelconque titre d’ailleurs. J’essaie de vivre simplement, comme me l’avait fait remarquer un ami un jour … pour que simplement d’autres puissent vivre. Je choisis de vivre avec peu de revenus parce qu’au fil des ans j’ai constaté que vivre avec un minimum d’argent me donnait un maximum de liberté à plusieurs niveaux. D’une certaine façon je « m’oblige » à choisir des options de vie plus sobres. 

Ce qui m’amène à cet été sans gazer qui s’en vient.

Avec pas d’cash, je vais devoir trouver des façons originales de m’organiser. Je ne pourrai clairement pas emprunter les voies souvent considérées comme traditionnelles. Pas de resto, pas d’hôtel, pas de « luxe ». Bien sûr le concept de « luxe » est relatif ... on s’en reparlera quand je serai dans le Nord de l’Ontario sur le bord d’une rivière en train de pêcher mon repas!

En fait, comme on s’en est aperçu assez rapidement avec le Demi, la monnaie, qu’on qualifie souvent de simple lubrifiant économique, est tellement efficace dans son rôle qu’on n’a même plus conscience la plupart du temps que nous sommes en train d’échanger quelque chose avec quelqu’un. C’est quand la dernière fois que vous avez pris le temps de regarder la personne au comptoir dans les yeux et d’apprécier le service qui vous était rendu? Et je suis coupable autant que n’importe qui de ce décrochage social. 

Parce que je fais avec pas d’cash, même au stade de la préparation de mon voyage, je dois déjà prendre contact avec certaines personnes que je ne connais pas ou peu. De nouvelles connaissances à qui je dois expliquer clairement mon projet et voir si on ne pouvait pas s’entendre ensemble. 

L’anonymat qu’encourage souvent la monnaie n’est pas une option pour moi cet été.
Je ne peux pas dire que je suis 100% à l’aise avec ça. Ça ne sera pas toujours facile c’est évident. Mais encore une fois dans ma vie je m’obligerai moi-même à faire ce que je crois être une manière complémentaire de vivre un aspect d’une vie que je souhaite polyvalente et non monotone.

P.S.
Bien que je vise un maximum d’autonomie reposant sur un minimum d’échange monétaire, je ne suis pas contre l’argent, mais plutôt contre l’attachement souvent presque sentimental qu’on lui accorde. Et je suis certainement opposé au fait que nous priorisions l’argent devant bien des pans de notre vie (comme la liberté).

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10 avril 2018 (21 jours avant le départ)

Le rêve d'un ti-cul de treize ans



Mes parents m’ont toujours dit que la vie passait vite.
Je ne les ai jamais cru.

Tout jeune, je rêvais d’être vieux. Je me voyais, fumant la pipe sur mon balcon, un saint-bernard à mes pieds, regardant calmement le soleil se coucher.

Je pourrais écrire un roman à partir de cette image dans ma tête tellement elle est chargée d’émotions, de rêves et de projets de vies (oui, vie avec un s).

J’en ai rêvé une shot dans ma vie.

De la star de cinéma au joueur de hockey talentueux, du jardinier autosuffisant au père affectueux, informaticien, pompier, astronaute et musicien, je ne crois pas avoir laissé beaucoup de possibilités de côté.

Le rêve de traverser le Canada en vélo, je me souviens de l’avoir écrit dans un duo-tang vert, dans ma chambre à Ville Vanier quand j’étais ti-cul. Je me vois encore comme si c’était hier. Est-ce que la vie passe vite ou est-ce que les rêves s’accrochent aussi longtemps qu’ils ont besoin de l’être?

Tout à coup, j’ai un peu peur.
C’est tellement un vieux rêve.
Est-ce que ça va me laisser un gros trou dans le cœur?

Et puis je pense à il y a quelques années. Avec deux enfants, une famille et la résignation que j’avais face à la réalisation de mes rêves d’enfance, mon voyage en vélo en particulier. Je regardais ces rêves avec un sourire d’adulte. Un sourire honnête, mais dans lequel loin loin loin derrière si on regardait comme il faut se trouvait un soupçon de regret. De sains regrets dirait une personne raisonnable.

La vie étant ce qu’elle est, avec ses balles courbes sortant de nulle part, il y a six mois dans une situation familiale insoutenable est réapparu à l’horizon mon rêve de ti-cul. Il est encore un peu tôt pour dire que ce qui se passe aura changé ma vie, mais j’ai le feeling que cette aventure ne me laissera pas inchangé.

C’est quand même un peu surréaliste toute cette aventure. Et ça me fait réaliser comment ma vie elle-même est aussi un peu surréaliste.

Je me vante souvent de toujours avoir fait ce que je voulais dans la vie. Je ne peux pas dire que j’aie déjà eu un emploi que je ne voulais pas. J’ai eu quelques employeurs qui trouvaient que j’étais peut-être un peu trop occupé pour travailler, mais je n’ai jamais manqué de rien, même si souvent j’ai vécu sobrement.

À trente ans, je quittais le Québec pour m’installer aux Territoires-du-Nord-Ouest. Je n’en pouvais plus de l’atmosphère d’intolérance qui s’installait à Québec, gracieuseté entre autres des “radios poubelles”. J’ai vécu presque dix ans dans l’bois sans eau courante ni électricité. Ça m’a remis les priorités à la bonne place !

Chaque été, je partais en canot. J’allais explorer les milliers de lacs autour de Yellowknife. J’ai fait trois semaines de canot avec quatre chiens de traîneau, j’ai descendu le fleuve Yukon en me faisant à déjeuner dans le canot pendant qu’il se déplaçait à quelques kilomètres à l’heure, j’ai été 33 jours tout seul dans le bois, en canot, pendant lesquels j’ai pris 10 jours sans lire, sans écrire, sans prendre de photo. J’ai traversé les TNO pendant tout un été avec un canot sur la tête pour me rendre jusqu’à l’Océan Arctique. J’ai traversé des hordes de bisons en vélo et manteau rouge, me demandant si je n’allais pas me faire charger. J’ai vécu du théâtre, eu le prix staff dans un bar parce que c’était notre seconde maison, participé à la création d’une monnaie dont le New York Times a parlé, écrit un chapitre sur l’économie dans un essaie collectif, sans diplôme en rien, j’ai vécu dans une yourte pendant deux ans, bâti deux petites maisons et eu deux enfants à quarante ans … j’ai eu du fun!

Bien peu de choses ont changé dans le fond depuis que j’étais ti-cul. Je ne me sens ni vieux, ni jeune. Pas ambitieux pour deux cennes et je me trouve chanceux de vivre dans un endroit paisible où rêver et réaliser ses rêves est encore possible.

Je ne me suis pas encore réveillé en sueur au milieu de la nuit parce que je doutais d’être capable d’aller au bout de ce rêve-ci. Peut-être parce que je commence à croire qu’il est possible de réaliser ses rêves (une façon camouflée de dire que je commence peut-être un peu à croire en mes capacités de les réaliser). Ou peut-être parce que 100 jours, c’est juste cent fois une journée.

En attendant d’écrire une prochaine chronique en me berçant sur mon balcon un st-bernard à mes pieds, j’attends impatiemment le 1er mai pour donner le premier coup de pédale d’un voyage déjà commencé il y a bien bien longtemps.


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Seul au milieu de la foule
15 avril 2018


J'ai fait beaucoup de choses seul dans ma vie.

Si souvent je me suis senti seul, je considère quand même toujours avoir été bien entouré.

Dans mon monde, tout le monde est différent, exceptionnel, particulier. Il n'y a pas d'ordinaires.

Chaque individu est unique. Je ne me souviens pas n'avoir jamais pensé autrement.

Pourtant, ce n'est pas parce que je n'ai pas eu accès à ce discours du Nous. J'y ai tellement eu accès que j'en ai fait une organisation; N.O.U.S. de la Gaspésie. Un blogue et une page Facebook. Mais ce N.O.U.S.(1) n'est pas le nous avec lequel j'ai grandi.
Face au nous de mon enfance, il y a toujours eu les autres. Comme si nous autres, on était mieux ou différents qu'eux autres.

Ça m'a toujours un peu dérangé.

Avec cette vision du monde, j'ai l'impression que je me suis moi-même mis de côté. Souvent. J'ai quand même essayé de me construire en pensant que j'avais le droit de faire ce que je voulais de ma vie. Mais avec une règle; faire aux autres ce que j'aimerais que les autres me fassent. Reconnaître mon individualité sans que cette individualité coûte aux autres.

J'ai toujours essayé de vivre de cette façon en me disant que si tout le monde vivait ainsi, nous vivrions dans un monde où il fait bon vivre.

Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que tout le monde devrait faire du vélo tout le temps … bien que cet argument pourrait être défendable. Si j'ai toujours essayé de faire de ma vie ce que j'en voulais, c'est en reconnaissant ma place au sein d'une communauté. Une communauté large et une autre de proximité. Toutes mes actions ont un impact sur quelqu'un, quelque part. En reconnaissant ce fait, j'essaie de limiter les impacts négatifs et de maximiser les positifs.

J'ai rapidement abandonné l'école et je m'organise pour que mes enfants y aient un accès raisonnable, mais pas exclusif. Parce que je suis d'avis qu'on y formate plus qu'on y forme et y éduque présentement. J'ai cessé de faire mes besoins dans une eau propre traitée à grands frais et qui se fait de plus en plus rare, pour apprendre à composter de manière sécuritaire les rejets humains. Je me suis acheté une maison plus près de mon lieu de travail (maintenant télétravail) et de l'épicerie, et qui me permettait d'avoir d'autres options que la voiture pour mes déplacements. Ce qui n'est pas toujours évident en Gaspésie, mais qui pourrait tellement l'être si la confiance envers l'autre y était. Je n'arrête pas de m'imaginer le potentiel énorme de la 132 pour l'auto-stop si on s'y mettait.

Un auto-stoppeur, qui fait de la déscolarisation et qui composte ses excréments … je vous disais tantôt que je me sens seul des fois?!

J'ai eu la « chance » il y a quelques années de passer 33 jours complètement seul dans le bois. Aujourd'hui, si je pouvais (ou lorsque je déciderai que je peux) je repartirais volontiers, sans hésiter pour revivre une telle expérience. Mais pour être honnête, cette « chance » que j'ai eu de vivre un mois que certaines personnes pourraient qualifier de méditation pleine conscience constante, était le résultat de mon incapacité à trouver d'autres personnes pour faire le voyage avec moi.

Ainsi en est-il de mon voyage cet été et de bien d'autres aspects de ma vie en général.

Ceci n'est pas une complainte, pas plus que la pipe de Magritte n'était une pipe.

C'est un constat que j'embrasse et qui si à la fin de ma vie m'obligera à dire que « Je n'ai pas fait tout ce que j'aurais aimé faire de la façon dont j'aurais aimé », me permettra certainement aussi dire que « Tout ce que j'ai fait, j'ai aimé le faire ».

Pour la petite histoire et puisqu'on est dans les confidences, en 2003 lorsque je dis que je suis allé de Yellowknife jusqu'à l'Océan Arctique en canot, ce n'est pas tout à fait vrai. En réalité, je me suis arrêté à un kilomètre de l'Arctique, dans un camp de pêcheurs inuit où allait venir nous chercher notre avion, pendant que mes trois compagnons de voyage allaient se tremper le gros orteil dans l'Arctique. J'ai l'impression que je ne voulais pas mettre un terme à ce voyage. Je voulais qu'il reste ouvert ou me laisser la possibilité un jour d'y retourner parce que je ne m'y étais jamais rendu. Après 50 jours de voyage en canot ensemble, juger l'autre n'était plus une option. Alors, sans essayer de me convaincre, ils étaient partis conclure leur voyage pendant que je restai derrière sans regret. Seul.

  (1) N.O.U.S. : Nouvelle Organisation pour l'Union et la Solidarité  

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